Après avoir subi la critique publique pendant des mois pour ses méthodes d’évaluation d’importants projets d’oléoducs, l’Office national de l’énergie vient d’annoncer que toutes les décisions prisent par le comité original d’évaluation d’Énergie Est sont officiellement annulées.
Le nouveau comité chargé de l’évaluation du projet controversé de TransCanada Corp. a pris la décision, ce vendredi, que toutes les décisions prises par les anciens commissaires, qui se sont récusés en septembre dernier, seront retirées des dossiers officiels des audiences. Les commissaires Roland George, Lyne Mercier et Jacques Gauthier se sont retirés de leurs fonctions lors d’allégations de conflit d’intérêts. Peter Watson, le président-directeur général, s’est également récusé de toutes affaires ayant trait au projet Énergie Est.
Le nouveau comité, nommé plus tôt ce mois-ci, devra maintenant reconsidérer si l’application d’Énergie Est est complète, ainsi que la liste des participants aux audiences, les décisions individuelles sur cette participation et l’ordre des audiences. Il devra également prendre décision sur la liste des points et facteurs à inclure dans l’évaluation environnementale, en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012).
Le comité juge qu’il s’agit de la « bonne chose à faire »
« Je crois qu’il serait correct de dire qu’on retourne presque au point de départ », a indiqué Marc Drolet, agent de communications pour l’ONE, à l’Observateur national. « Ils ont décidé que de recommencer au début était la bonne chose à faire et qu’ils analyseront toutes les décisions qui ont été prises. Ils prendront de nouvelles décisions. »
La décision s’applique également au projet Eastern Mainline, un projet moins connu qui propose de rallonger de 250 kilomètres et de rajouter neuf stations de compression sur un système de gazoduc dans le sud de l’Ontario. Le projet Énergie Est se veut comme le plus grand de l’histoire du Canada, avec plus de 4500 km d’envergure et une capacité de distribution de 1,1 million de barils de pétrole par jour. Il desservirait les producteurs d’Alberta, de Saskatchewan et du Dakota du Nord vers les raffineries et ports maritimes du Québec et du Nouveau-Brunswick.
Ce vendredi matin, un communiqué de presse de l’ONÉ indiquait que toute étape et les échéanciers qui y sont associés ne sont dorénavant plus valides. Le nouveau comité d’audience, qui consiste maintenant de Don Ferguson, Carole Malo et Marc Paquin, tous bilingues, choisira la méthode à suivre pour continuer avec les audiences. Le comité décidera également s’il faut considérer les projets Énergie Est et Eastern Mainline dans le cadre des mêmes audiences.
Dans un autre communiqué de presse, Tim Duboyce, de TransCanada, indiquait que la compagnie d’énergie basée à Calgary allait réviser la décision du nouveau comité afin de « comprendre son impact sur TransCanada et le projet ».
« Énergie Est représente une nouvelle opportunité pour acheminer le pétrole canadien vers des marchés plus sûrs, en produisant moins d’émissions que le transport en train, tout en créant des milliers d’emplois au travers du pays et en générant des milliards de dollars additionnels en taxes et en croissance du PIB », dit Duboyce. « Énergie Est reste d’importance stratégique critique parce qu’il comblera les besoins d’importation de centaines de milliers de barils de pétrole étranger des raffineries du Québec et du Nouveau-Brunswick tous les jours, tout en améliorant l’accès aux marchés outremer pour le pétrole canadien. »
Avocats et environnementalistes satisfaits de la décision
Alors que TransCanada insistait qu’Énergie Est aidera à revitaliser les économies provinciales ralenties, les opposants au projet ont célébré la remise à zéro du processus d’évaluation. Les critiques du projet argumentent que si le projet est autorisé, Énergie Est traversera plus de 3000 cours d’eau de l’Alberta au Nouveau-Brunswick, il rendra les objectifs canadiens face aux changements climatiques hors de portée et exposera des écosystèmes fragiles aux risques liés aux fuites et déversements.
Ecojustice accueillait chaleureusement les nouvelles de ce vendredi. Plus tôt ce mois-ci, le cabinet d’avocats environnementaux entamait une nouvelle poursuite juridique pour faire arrêter le processus d’évaluation d’Énergie Est après une enquête de l’Observateur national. Cette dernière révélait l’été dernier que des membres du comité original ont rencontré en secret l’ancien premier ministre du Québec, Jean Charest, qui était alors sous contrat avec TransCanada.
Deux anciens membres du comité, Gauthier et Mercier, ainsi que Watson, président de l’ONÉ, ont conseillé l’ex-politicien sur l’approche à suivre pour engager de façon efficace les résidents du Québec au sujet d’Énergie Est. Suivant les retraits de septembre, Ecojustice a plaidé que le processus d’évaluation d’Énergie Est avait été entièrement biaisé et que la seule solution possible pour éviter toute perception de conflit d’intérêts était de recommencer à zéro.
« C’est certainement une décision frappante venant du comité, et c’en est une que nous accueillons, » a dit Charles Hatt, avocat pour Ecojustice. « Ça démontre qu’ils prennent l’impartialité procédurale avec sérieux, qu’ils la comprennent et lui donne de l’importance au Canada, ce qui était une critique majeure envers l’Office national de l’Énergie. »
La décision du comité reflète également une demande faite par le Treaty Alliance Against Tar Sands Expansion (l’Alliance du traité contre l’expansion des sables bitumineux), une alliance de 122 nations autochtones en Amérique du Nord qui s’opposent à l’expansion des sables bitumineux de l’Alberta, ainsi qu’aux projets d’oléoducs et aux transports ferroviaires et maritimes qui y sont associés. Le grand chef Serge Simon du conseil mohawk de Kanesatake dit que l’ONÉ n’a pas d’autre choix que de recommencer complètement le processus d’évaluation d’Énergie Est.
« Kanesatake a dit depuis le début que le processus de l’ONÉ est de la supercherie et la décision de l’ONÉ aujourd’hui le confirme, » dit-il dans un communiqué de presse. « Mais la rencontre en question avec Jean Charest, celle qui a mené à tout ça, n’était que la pointe de l’iceberg. L’ONÉ est une institution brisée et partiale qui ne fait qu’approuver des oléoducs des sables bitumineux depuis des années. »
Le nouveau comité a décidé que les applications de projet n’ont pas besoin de refaire leurs applications, et que s’il détermine que l’application existante est toujours considérée comme étant complète, le délai de 21 mois recommencera à zéro. Drolet a indiqué que si le comité décide que l’application n’est pas complète, il pourrait demander à TransCanada de fournir de l’information supplémentaire.
Plus de travail à faire pour l’évaluation d’oléoducs
Malgré les bonnes nouvelles de vendredi, certaines organisations environnementales soutiennent que l’ONÉ a encore beaucoup à faire avant que la confiance du public pour évaluer des projets énergétiques majeurs lui soit restaurée. Même avec une remise à zéro sur Énergie Est, ils avancent que les projets seront toujours évalués sous les mêmes lois d’évaluation environnementale qui ont été créées par l’administration de Stephen Harper, et ce, malgré la promesse électorale du premier ministre Justin Trudeau d’en faire la réforme.
L’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) et Stratégies Énergétiques sont également d’avis qu’il y a encore du pain sur la planche avant de continuer. Ils reviennent également sur les événements concernant Jean Charest : « maintenant, nous demandons toujours une enquête publique en profondeur et la publication de tous les documents cachés concernant les rencontres secrètes entre l’ONÉ, TransCanada, Jean Charest et autres intervenants, » dit André Bélisle, président de l’AQLPA, via communiqué de presse.
Keith Stewart, stratégiste sénior sur le dossier de l’énergie pour Greenpeace Canada pense également que ce n’est pas suffisant : « d’aucune façon l’évaluation ne devrait continuer sous les anciennes règles, qui se font écrire à nouveau en ce moment même dans le but de contrer le biais structurel pro-industrie introduite par le gouvernement Harper et pour inclure des considérations à propos des effets sur les changements climatiques. »
Inquiétudes à propos de Keystone et Kinder Morgan
De plus, le gouvernement fédéral fait face à au moins quatre actions judiciaires reliées aux autorisations récentes des projets d’expansion des oléoducs TransMountain de Kinder Morgan et Line 3 d’Enbridge. Les signataires de l’Alliance du traité contre l’expansion des sables bitumineux disent que ces oléoducs ont été soumis à une « évaluation illégitime ».
Alors que TransCanada se prépare à faire une nouvelle application pour l’oléoduc Keystone XL depuis l’accord du Président Trump, ils en ont appelé au gouvernement fédéral de rencontrer ses propres cibles climatiques intérieures et internationales afin de respecter les droits autochtones.
« Les premières nations ont demandé au premier ministre Trudeau d’honorer ses promesses électorales, maintes fois répétées, de ne pas autoriser d’oléoducs jusqu’à ce que l’ONÉ soit réformé, mais comme nous l’avons vu, Trudeau a choisi de simplement modifier et “moderniser” l’ONÉ, seulement après avoir autorisé les oléoducs de Kinder Morgan et le Line 3, » a dit le grand chef Stewart Phillip, président de l’Union des chefs indiens de Colombie-Britannique.
« Il n’est pas surprenant pour les Premières nations de voir que Trudeau se fait maintenant l’avocat des tentatives de Trump à forcer la construction de Keystone XL plutôt que d’honorer les accords de Paris, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et des 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Complètement bidon ! »
Au moins un environnementaliste a aussi accusé le gouvernement de permettre un double standard sur l’évaluation des oléoducs. « Classique. Les provinces riches en votes avec plein de sièges libéraux à perdre obtiennent un processus d’évaluation à oléoduc flambant neuf. La même chose a été promise à la Colombie Britannique sur Kinder Morgan, » s’exprimait Kai Nagata via twitter.
D’après l’ONÉ, le compte à rebours de l’oléoduc Énergie Est a été arrêté pour le moment, et le temps alloué à l’évaluation ne recommencera qu’une fois que le nouveau comité aura déterminé que l’application de TransCanada est complète.
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